Retour sur le BPA (Bisphénol A)

Si les biberons contenant du bisphénol A sont interdits en France depuis 2010, ce composant chimique n’a pas disparu ailleurs. En particulier dans les matériaux au contact des aliments. L’Assemblée a voté le 12 octobre une proposition de loi PS de Gérard Bapt soutenue par le gouvernement interdisant le bisphénol A dans les contenants alimentaires à compter de 2014. Et dès 2013 pour les contenants alimentaires de produits destinés aux enfants de moins de 3 ans. Une date anticipée voulue par le ministre de la Santé, Xavier Bertrand. Ce texte, accepté à l’unanimité en commission, intervient après un récent rapport de l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) jugeant nécessaire de remplacer « sans tarder » le bisphénol A, utilisé pour fabriquer de très nombreux plastiques.
L’interdiction concerne la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement alimentaire contenant du bisphénol A. Quant au délai d’entrée en vigueur, il vise à permettre « aux industriels de finir de mettre au point des substituts au bisphénol A et aux scientifiques de démontrer leur innocuité, comme le recommande le rapport de l’Anses paru mardi », avait souligné en septembre la rapporteure de la proposition. Jugeant « heureux que l’intérêt général l'emporte », Gérard Bapt a estimé que « cela tranch(ait) singulièrement avec la position du gouvernement ces dernières années » et « singulièrement de Roselyne Bachelot ». « Cette mesure devrait réduire significativement l’exposition quotidienne à ce perturbateur endocrinien et contribuer à diminuer l’intoxication du foetus via la contamination maternelle », indique aussi le Réseau environnement Santé dans un communiqué. Vendredi 28, Le Monde, dans son édition datée du 29, publie un article en exhumant les résultats des premiers travaux montrant la dangerosité du BPA.


Morceaux choisis :
Les archives sont souvent impitoyables. Pour qui se plonge dans celles des revues scientifiques, l’affaire du bisphénol A (BPA) a tous les traits d’un scandale sanitaire mondial, potentiellement l’un des plus graves de la décennie écoulée. Scandale rendu possible par les manœuvres dilatoires de l’industrie et, surtout, par le hiatus considérable entre le monde de la recherche académique et la plupart des agences de sécurité sanitaire. Si les agences française et canadienne reconnaissent, depuis peu, les dangers du BPA pour la santé humaine, la très grande majorité des autres continue de minimiser ces risques, en dépit de nombreux signaux d’alerte. En particulier ceux qui ont été lancés dès le début des années 2000 par les premiers chercheurs à avoir travaillé sur les effets à faible dose de ce composé chimique omniprésent, surtout dans les conserves et les plastiques alimentaires.
L’affaire est d’une singulière gravité. La liste des effets secondaires potentiels de l’exposition à de très faibles doses de bisphénol A (BPA) – qui perturbe le système hormonal – s’allonge rapidement, à mesure que de nouvelles études sont publiées. Et il en paraît chaque mois. De plus, c’est l’ensemble de la population qui est exposée. Selon une étude publiée en 2005 dans Environmental Health Perspectives, le BPA est présent dans les urines de 95 % de la population occidentale… Les premiers indices d’effets biologiques significatifs du BPA à très faible dose apparaissent dans la littérature scientifique dès le milieu des années 1990 avec les travaux publiés par Frederick vom Saal, professeur à l’université du Missouri à Columbia (Etats-Unis). Les travaux de M. vom Saal suggèrent ainsi que l’exposition de rongeurs à des concentrations de l’ordre de la fraction de millionième de gramme de BPA par jour et par kilo de masse corporelle est susceptible de provoquer des effets biologiques significatifs. C’est-à-dire à des doses comparables à celles auxquelles les humains sont exposés.
Largement utilisé depuis la fin des années 1950 par l’industrie du plastique, le BPA présent dans les contenants alimentaires a tendance à migrer, à de très faibles taux, dans la nourriture ou les boissons…
Fin 2004, Frederick vom Saal passe en revue l’ensemble des travaux publiés sur le sujet dans la littérature savante. Le résultat de cette analyse de la littérature est publié dans Environmental Health Perspectives en août 2005. Il est éloquent. Au milieu des années 2000, pas moins de 115 études sur les effets des faibles doses de BPA sur des animaux de laboratoire avaient été publiées. Parmi elles, 104 avaient été financées par des fonds publics ou des universités, tandis que 11 avaient été commandées par des industriels. Parmi les premières, 94 études détectent des effets biologiques significatifs, 10 n’y parviennent pas. Quant aux travaux sponsorisés par l’industrie, aucun d’entre eux ne parvient à mettre en évidence le moindre effet.
Les conséquences biologiques mises au jour par la majorité des études financées sur fonds publics balaient un large spectre : altération du système reproducteur des rongeurs et des glandes mammaires des femelles, neurotoxicité, perturbations du système immunitaire, changement du comportement socio-sexuel des animaux, puberté avancée chez les femelles, etc. De nombreux effets surviennent après exposition fœtale ou néonatale, se manifestent et perdurent pendant le reste de la vie des animaux. « En 2005, avec une centaine de telles études sur les animaux, on avait suffisamment d’éléments pour faire jouer le principe de précaution, estime M. vom Saal. On en savait alors beaucoup plus sur le BPA qu’on ne savait de choses sur les phthalates en 1999, lorsqu’ils ont été interdits en Europe dans les jouets… » Mais, à l’automne 2006, près de quarante chercheurs internationaux, pour la plupart ayant mené des travaux sur le BPA, sont réunis à Chapel Hill, en Caroline du Nord (Etats- Unis)… à l’initiative du National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) américain. A l’issue de plusieurs jours de colloque, ils rédigent le Consensus de Chapel Hill sur le BPA, qui sera publié quelques semaines plus tard dans la revue Reproductive Toxicology. A quelle conclusion parvient la quarantaine de chercheurs ?  » La littérature scientifique publiée (…) révèle que plus de 95 % de la population échantillonnée est exposée à des doses suffisantes de BPA pour qu’il soit prévisible que celui-ci soit biologiquement actif, écrivent les auteurs. Le large spectre d’effets indésirables des faibles doses de BPA chez les animaux de laboratoires, exposés au cours de leur développement ou de l’âge adulte, est une cause de grande inquiétude en ce qui concerne des effets indésirables similaires chez les humains. » Leur inquiétude n’est pas seulement prospective. « Des tendances récentes de maladies humaines peuvent être mises en relation avec les effets indésirables des faibles doses de BPA observés sur l’animal, ajoutent-ils. Par exemple, l’augmentation des cancers du sein et de la prostate, les malformations uro-génitales chez les garçons, le déclin de la fertilité, l’avancement de la puberté chez les filles, les désordres métaboliques comme le diabète de type 2 et l’obésité, de même que des problèmes comportementaux comme le déficit d’attention et l’hyperactivité. » « Dès 2006, il est impossible de dire que rien ne se passe avec le BPA à faibles doses », conclut Ana Soto. En 2009, la Société d’endocrinologie américaine sonne l’alarme à son tour sur les perturbateurs endocriniens et le BPA. Pourtant, l’écrasante majorité des agences de sécurité sanitaire continuent à estimer que le BPA ne pose pas de problème aux niveaux d’exposition constatés dans la population.
Comment un tel fossé s’est-il installé entre la petite communauté des spécialistes du BPA et les agences de sécurité sanitaire ? « L’industrie est parvenue à remporter un extraordinaire succès en finançant et en faisant publier un petit nombre d’études qui ne trouvent jamais rien, explique Frederick vom Saal. Et ce petit nombre d’études parvient à fabriquer du doute et à créer de l’incertitude. Cela permet de créer de la controverse là où il n’y en a pas et, en définitive, cela permet de dire : avant de réglementer, il faut faire plus de recherche, nous avons besoin d’encore dix ans. » Les industriels, rappelle l’historienne et épidémiologiste Sarah Vogel, de la Johnson Family Foundation, « ne procèdent pas eux-mêmes à ces études, mais les délèguent auprès des laboratoires privés, qui ne font qu’appliquer des procédures de tests standardisées et en rendent publics les résultats ». Ces études répondent à des critères très précis, dits de « bonne pratique de laboratoire ». Pour les spécialistes du BPA, le biais est, précisément, dans ces fameux tests standardisés. « Depuis plus d’une décennie, il est reconnu que ces tests ne conviennent pas aux perturbateurs endocriniens », estime Patricia Hunt. « Ces
études ne voient rien parce qu’elles ont été mises au point dans les années 1950 et sont complètement obsolètes, précise Frederick vom Saal. C’est un peu comme si on cherchait à déterminer le lieu d’alunissage d’astronautes sur la Lune en regardant avec des jumelles ! »
Les pays précurseurs : Canada. C’est le premier Etat à avoir interdit, en 2009, l'emploi du bisphénol A (BPA) dans la fabrication des biberons. En octobre 2010, il l’a classé « substance chimique qui peut nuire à la santé humaine et à l’environnement « . Europe. Le 31 mai 2011, l’UE interdisait le BPA dans les biberons. Danemark. Il est interdit dans les matériaux de contact alimentaire et depuis le 1er juillet 2010. France. Paris a banni le BPA dans les biberons en juin 2010. Le 12 octobre 2011, l’Assemblée nationale a voté l’interdiction du perturbateur endocrinien dans les contenants alimentaires. La mesure doit encore être approuvée par le Senat. Elle s’appliquerait à partir de 2014, mais dès 2013 pour les contenants alimentaires destinés aux enfants de 0 à 3 ans.
Sources : ChemSud, LCI, Le Monde