Les plastiques au coeur de l’aventure aéronautique

Le Solar Impulse est entré dans l’histoire de l’aéronautique le 8 juillet 2010, jour où il a volé plus de 24 heures sans interruption uniquement propulsé par ses panneaux solaires et ses batteries au Lithium.
Son envergure totale de 64 mètres équivaut à celle d’un Airbus A340. Pourtant, il ne pèse pas plus lourd qu’une petite voiture.

 

André Borschberg : Quelle préparation physique pour piloter le monoplace HB-SIA ?

Il y a deux aspects dans ma préparation : le physique d’un côté et le mental de l’autre.

La pratique du fitness me permet de trouver un équilibre corporel indispensable tandis que le yoga et la méditation m’aident dans ma préparation mentale.

26 heures passées sans bouger dans une cabine de deux mètres ça peut paraître long, j’ai recours pour cela à certaines techniques de respiration et puis, j’ai appris à faire travailler mes muscles sans bouger. C’est inconfortable pendant les trois premières heures, on est un peu ankylosé, mais grâce à ces petits exercices corporels, tout disparaît !

André Borschberg : Quel est le rôle actuel des matériaux composites et des polymères dans Solar Impulse ?

Actuellement, Solar Impulse est quatre fois plus léger qu’un planeur classique et deux fois moins dense qu’une plume : l’allègement permanent de l’avion est l’un des objectif majeurs du projet car faute de pouvoir disposer d’une puissance énergétique énorme, il faut un avion le plus léger possible.
Et ceci l’est en grande partie grâce aux matériaux composites et polymères que l’on retrouve un peu partout dans l’avion, du fuselage composé de tubes en fibre de carbone et de mousse alvéolée en passant par l’enveloppe du cockpit en mousse isolante, aux 12 000 cellules photovoltaïque encapsulées dans un film ultra fin de 17 microns ou les batteries isolées du froid grâce à un polymère.

La chimie et les plastiques sont des éléments essentiels pour résoudre les enjeux majeurs du projet : la chaîne énergétique et l’allègement de l’avion. C’est pourquoi nous travaillons avec des partenaires de choix, tels Solvay et Bayer.
Aujourd’hui, Solvay embarque à bord du prototype de 1ere génération HB-SIA 11 matériaux différents déclinés en une vingtaine d’applications dans un total de 6000 pièces. Et on retrouve les mousses de polyuréthane de Bayer dans l’isolation du poste de pilotage, dans le capotage des moteurs et dans les ailes.
La fabrication de cet avion fait appel aux technologies les plus avancées et a surtout pour objectif de toujours les repousser plus loin. Que ce soit dans le domaine des structures composites, des matériaux légers dits intelligents et des moyens de production et de stockage de l’énergie.

Bertrand Piccard : Comment se passe la collaboration avec Solvay ou Bayer ? Est-ce vous qui leur demandez de développer tel ou tel matériau ou eux qui propose de développer telle ou telle solution pour Solar Impulse spécialement ?

Nos partenaires, que cela soit Solvay qui partage notre aventure depuis le début, ou encore Bayer qui nous a rejoint, ont boosté leur recherche pour améliorer les performances de leurs produits et travailler sur des idées innovantes, pour une gestion optimale de l’énergie et l’allègement maximal des matériaux. Solvay n’a pas inventé de nouveaux produits, mais a amélioré des produits déjà existants, en augmentant, par exemple, l’efficacité des batteries lithium polymère de 40%, passant de 180 Watt.heure/Kg en 2007 pour atteindre 240  aujourd’hui. Pour le prochain avion, on espère atteindre 260/280 Watt.heure/Kg de batterie.

Nous ne sommes pas développeurs de technologie mais d’un nouveau concept. L’idée, c’est d’intégrer les technologies dont nous disposons aujourd’hui et de démontrer qu’avec, on peut réduire notre consommation d’énergie et réduire ainsi notre dépendance au pétrole, en tant que carburant. Ce n’est qu’en confrontant les exigences et en explorant le potentiel de chacun que des solutions inédites dans le domaine aéronautique sont apparues.

Solar Impulse a drainé des gens qui répondaient « oui » quand on leur proposait de faire des choses impossibles. On a réussi à les intéresser à ce projet avant que l’avion existe et vole.

André Borschberg : Sur quelles parties de l’avion le développement de matériaux ultra-légers vont-ils permettre à HB-SIA d’aller encore plus loin ?

D’abord, il ne s’agira pas du HB-SIA mais d’un second avion, le HB-SIB qui devrait faire, à partir de 2013, un survol de l’Atlantique, avant de tenter un tour du monde en 5 étapes vers 2014.
Il ressemblera au premier prototype par sa forme générale et son aspect extérieur. Nous voulons encore alléger l’avion de 10% dans son ensemble, pour une envergure un peu plus grande : pour cela, nous devons obtenir un gain de poids principalement dans les cellules photovoltaïques et dans les batteries. Ces dernières sont encore lourdes  et obligent à réduire drastiquement le poids du reste de l’avion, à optimiser toute la chaîne énergétique et à maximiser le rendement aérodynamique.

Avec une densité énergétique de 240 Watt.h/Kg, la masse d’accumulateurs nécessaire pour un vol de nuit se monte à 400 Kg, soit le ¼ de la masse totale de l’avion. Une amélioration de la capacité des batteries permettrait notamment d’embarquer un deuxième pilote. Afin de générer plus d’énergie pour voler plus longtemps, nous devons augmenter le nombre de cellules solaires et donc allonger la taille des ailes sur lesquelles se trouvent les cellules.

L’avion sera composé d’éléments sandwich, c’est-à-dire de structures en nid d’abeille ou d’âmes en mousse entourés de fibres de carbone imprégnés de résine époxy. Les chercheurs de chez Bayer vont rendre ce matériau encore plus stable en renforçant la résine époxy avec des petits tubes nanométriques, les nanotubes de carbone qui amélioreront encore les propriétés mécaniques du matériau et permettront de réduire le poids de l’avion.

Le matériau renforcé avec les nanotubes devra permettre également de réduire la dilatation thermique que subissent les matériaux composites et éviter qu’ils ne se fissurent, en passant d’une température de – 50° à 12 000 m d’altitude à 30° à 1 500 m.

L’utilisation de petites pièces plastique plutôt que métallique dans toute la visserie, boulonnerie, boîtiers, est un gain de poids également important. Nous pratiquons la chasse aux grammes quotidiennement !

Le Torlon® (nylon spécial de Solvay) par exemple dont sont composées de multiples pièces mécaniques est 3 fois moins lourd que le métal.

Bertrand Piccard : de quoi êtes-vous le plus fier : la prouesse environnementale ou technologique ?

L’important pour nous est de faire changer les mentalités. L’aviation permet d’apporter des solutions innovantes et de démontrer que les énergies renouvelables, ça fonctionne ! Le Solar Impulse est le meilleur vecteur pour communiquer ce message.
Solar Impulse est un symbole et nous voulons nous en servir pour contribuer à révolutionner les mentalités lorsqu’il s’agit de penser aux énergies renouvelables. Sa réussite peut inciter les gens à prendre le chemin des économies d’énergie. Après le vol de 26 heures en juillet 2010, nous avons été sollicité par des institutions, des gouvernements, la Commission européenne … tout cela traduit un mouvement vers le changement.
Nous et nos partenaires cherchons des solutions qui font rêver plutôt que des technologies qui coûtent cher.
Et ces solutions technologiques formidables, nous les avons déjà. Elles peuvent nous permettre d’évoluer et d’ouvrir de nouveaux marchés tout en protégeant l’environnement.

Bertrand Piccard : selon vous, peut-on vraiment rêver à des avions de ligne solaires ?

Non, bien sûr, notre objectif n’est pas de nous lancer dans la construction d’avions de ligne.
Nous ne visons pas de développement commercial, c’est l’aventure scientifique qui guide nos pas.

Il est clair que l’aviation devra changer pour survivre à l’augmentation constante du prix du kérosène, mais à la différence de Solar Impulse, les moteurs d’avion ne sont effectivement pas près de se passer complètement de carburant !

Notre but ultime est de réussir un tour du monde « sans carburant fossile ni pollution ».

Si j’ai initié ce projet, c’est pour que Solar Impulse transporte des messages et non pas des passagers. Maintenant qu’un avion peut voler de jour et de nuit sans carburant, plus personne ne peut honnêtement continuer à prétendre qu’on ne peut pas faire la même chose pour des voitures, des bâtiments, des systèmes de chauffage, de refroidissement ou d’éclairage.

L’aviation a toujours été un extraordinaire facteur de progrès et d’innovation. Elle a transformé le 20ème siècle et fait rêver des générations. Aujourd’hui, devant les défis de notre monde, il faut qu’elle garde son rôle.

« Tout ce qui est impossible reste à accomplir ». Devise de Jules Vernes.

Source : http://www.plastic-lemag.com/dossier/110/index.html